Actualité publiée le mardi 21 juin 2022

En souvenir de Zaïma Hamnache-Gaessler

Jeudi 16 juin 2022 s’est tenue à la médiathèque Annie Ernaux, à Villetaneuse, une journée d’étude organisée par le Ministère de la Culture, Plaine Commune – Grand Paris, le Centre national de la littérature pour la jeunesse et A.C.C.E.S.

Les thématiques développées à l’occasion de diverses tables rondes tout au long de la journée ont permis de rendre hommage à Zaïma Hamnache-Gaessler, conservatrice des bibliothèques, en mettant en avant les thématiques pour lesquelles elle aura oeuvré avec un engagement sans faille tout au long de sa carrière. Parmi les témoignages également rendus a figuré celui de Geneviève Patte, ancienne directrice de La Joie par les livres, aujourd’hui présidente d’honneur de La Petite Bibliothèque Ronde et qui fut l’amie de Zaïma.

Geneviève a accepté que son texte soit mis en ligne. Le voici.

« Zaïma, ma si chère amie,

J’ai appris ton départ, tôt le matin du 18 mars. Nous nous y attendions. Mais, ce fut un déchirement. Blandine m’en avait avertie. Guy et elle ne cachaient pas leur chagrin. Nous étions si proches. 

Je me rappelle ma première rencontre avec toi, il y a bien longtemps. C’était à Clamart en 1989. Tu souhaitais travailler avec nous et tu avais posé ta candidature. D’emblée,  j’avais été séduite par ta belle personnalité, ton intérêt pour les enfants, ta connaissance des livres pour enfants. Ta parole sonnait juste. Ton expression heureuse, rayonnante, témoignait d’un profond équilibre, d’une joie de vivre, toutes qualités si importantes, quand on se rapproche des enfants. Nous t’avons engagée. Tu as tout de suite manifesté ton amour pour ce lieu, tu aimais sa beauté et la vie offerte aux enfants. 

Tu es restée 8 ans avec nous. Tu aurais voulu rester plus longtemps et même t’installer à Clamart, à proximité de la bibliothèque. Venir à la Cité de la Plaine, mal desservie par les transports en commun, était une épreuve.

Parce que la bibliothèque traversait des moments difficiles, nous t’avons confié la direction de la bibliothèque. J’ai tout de suite aimé ta façon d’être avec les enfants, ton écoute bienveillante. Je te vois encore, accueillant les enfants qui sollicitaient ton aide pour choisir leurs lectures. Tu engageais avec eux, en tête-à tête, un dialogue pour mieux connaître leur sensibilité, leur désir de connaître et de s’émouvoir. Je revois encore ton geste : une fois la décision prise, dans un geste d’offrande, tu leur donnais le livre choisi. Un geste empreint de dignité, de confiance réciproque et de respect, à la fois pour l’adulte et pour l’enfant ou le jeune qui le reçoit.  Ainsi, se tissaient, à la bibliothèque des liens entre enfants et adultes. Cette forme de relations me rappelait les tout premiers temps de la bibliothèque de Clamart, lorsque ma plus proche collaboratrice, Lise Encrevé, s’entretenait avec les enfants. Des rencontres inoubliables, nous disent, aujourd’hui, 50 ans plus tard, certains d’entre eux.

J’ai admiré ta manière d’animer la bibliothèque. Tu as toujours agi librement en te fondant sur ce qui est susceptible de susciter la curiosité. En toute liberté, tu t’entourais d’adultes aimant partager avec les enfants leurs expériences, leurs passions, ce qui peut les toucher, les passionner. Tu es allée jusqu’à inviter, une fois, Christophe, ton cher mari, instituteur de maternelle. Profondément artiste, merveilleusement ouvert, il savait susciter le désir de connaître. Je l’ai vu ainsi proposer aux enfants une découverte sensible de livres sur les masques africains, en les faisant réfléchir d’abord sur leur signification, selon les cultures.. Alors, tout naturellement, les livres qu’il leur présentait, prenaient vie. Alors, les enfants regardaient ces livres avec un vif intérêt. Il les invitait ensuite à construire leur propre masque. L’atelier, pour cela, leur était ouvert. J’ai beaucoup appris de Christophe.

Ma chère Zaïma, tu nous as aussi beaucoup appris. Tu as fait un extraordinaire travail de formation. Ainsi, ton esprit sera toujours présent. À la bibliothèque, tu as formé beaucoup de bibliothécaires. Beaucoup vont, à leur tour, vivre et transmettre ce qu’ils ont reçu de toi. Je pense à Christelle, venue se former auprès de toi à Clamart. J’y étais et j’admirais comme tu l’accompagnais. Il y a quelques années, passant dans un quartier violent, je suis entrée, par hasard, dans une bibliothèque. Par chance, Christelle était là, installée par terre, au milieu d’enfants pressés autour d’elle, pour écouter des histoires. C’était un spectacle que je ne peux oublier. C’était lumineux, joyeux, tout en couleurs. Le bonheur parfait. Tout cela, chère Zaïma, d’une certaine manière, c’est à toi qu’on le doit.

Tu as vraiment beaucoup fait pour former des bibliothécaires en France et à l’étranger. Ainsi, partout dans des lieux parfois inattendus, il y a ces petites rencontres heureuses autour de livres de qualité, et cela, parfois avec des enfants et des adultes malmenés par la vie. Pas de grands rassemblements. Bien au contraire. Tu as toujours aimé ce qui est petit, ce qui se vit librement, dans la confiance et l’intimité, autour d’adultes attentifs, intéressés par l’esprit d’enfance, prêts à échanger avec d’autres, leurs découvertes et réflexions ; avec le cœur ouvert, le cœur intelligent pour reprendre cette expression chère à Hannah Arendt.

Avec Blandine, les liens étaient forts. Nous formions comme un trio. Grâce à vous deux, je découvrais, au fil des ans, des expériences qui suscitait mon intérêt et je participais ainsi à vos exigeantes réflexions, toujours fondées. Vous étiez intéressées aussi par le travail que je faisais à l’étranger. Je m’estimais privilégiée d’être accueillie ainsi, par vous deux, en toute amitié et confiance. 

La nuit de ton départ, Blandine m’envoyait un message. Je recevais, ce jour même, un message de Thierry Claerr : un message bref qui m’a vraiment touchée. Nous savions bien que ton départ était imminent, mais nous avions besoin de partager notre peine. Ce message amical en disait long. Ainsi, m’écrivait-il, nous n’aurons plus ce plaisir que nous avions de nous retrouver régulièrement, tous les trois, pour partager un déjeuner à proximité de la BNF. Un vrai rituel. J’aimais la confiance qui te liait à Thierry, une autorité  à la Direction du livre. J’ai toujours aimé ce lien qui exprimait l’amitié et le respect entre vous deux et qui a, certainement, permis de consolider, de donner chair à tes intuitions et de construire, avec lui des projets. Toi-même, j’en suis sûre, tu as nourri ses réflexions.

Marie Bonnafé m’a aussi appelée. Vous étiez si proches. Elle avait si grande confiance en toi qu’elle t’avait confié la direction d’ACCES et, disait Evelio, tu en avais été l’âme. Ce fut une belle collaboration qui a porté ses fruits dans toute la France et au-delà. Je me rappelle combien tu avais été intéressée lorsque, à Clamart, je t’avais parlé d’ACCES. J’en suis heureuse, car ta longue collaboration avec Marie a transformé le regard d’un large public sur l’intelligence sensible des tout-petits.

Zaïma, mon amie, tu es si modeste, que tu ne te rends peut-être pas compte de l’ampleur de ce que tu nous as donné et cela n’est pas près de s’arrêter, grâce à tous ces bibliothécaires que tu as formés et qui t’admirent. Ils prendront le relais, tout comme Blandine qui partageait tant tes pensées. Quant à Christelle, sa bibliothèque m’apparait comme un foyer de lumière. Ce que tu as transmis partout a suscité de telles lumières qui nous réjouissent et nous éclairent. Dans notre monde souvent violent, désespéré, blasé, blessé, ces foyers de lumière, ces sources d’eau vive, nous permettent d’espérer un monde meilleur, un monde plus juste. 

À toi, toute notre gratitude. Nous ne te quittons pas. Tu seras toujours avec nous, source d’inspiration. Merci, Zaïma.

Geneviève »

 

 


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